Il observait la nuit. Il notait chaque détail, de l'épaisseur du croissant de lune au trajet de la limace qui cheminait lentement à ses côtés. L'air nocturne qui courait sur la terrasse était revigorant.
Sa cigarette pendait au bout de ses doigts. Bien que fumer n'était pas une habitude chez lui, il lui arrivait parfois de ressentir le besoin pressant d'une cigarette. Le besoin de sentir la fumée, et avec elle le poison, s'infiltrer doucement dans ses poumons. Ca le soulageait. C'était, en somme, troquer un mal contre un autre. Sa gorge rauque soulageait son esprit encombré.
"Quelle ironie" pensa-t-il. Se faire du mal lui donnait une illusion de contrôle à laquelle il pouvait se rattacher pendant quelques instants. C'était comme s'il se vengeait sur son moi futur de ce que son moi passé avait manqué. C'était idiot. Et inutile.
Il écrasa une énième cigarette, et se résolut à quitter la fraîcheur apaisante de la nuit. Après avoir reposé le paquet où il l'avait trouvé, il fit quelques pas vers la porte de la chambre qui était entrebâillée. Il s'appuya sur le chambranle pour mieux contempler la forme étendue sur le lit.
La vision des doux traits de son visage endormi l'apaisa. Ses yeux caressèrent les courbes de son corps. Il était tellement beau, ce corps. Fin et musclé, il avait une forme reconnaissable entre toutes. La taille fine, peu de courbes et des muscles ciselés. Un ventre un peu rond, des fesses ayant la dimension parfaite pour tenir dans les mains. Et des mains... Des mains douces et résistantes, des mains magnifiques.
Mais tout cela n'était rien comparé au visage. Un visage androgyne encadré par de courts cheveux noirs, aux pommettes saillantes et aux lèvres sombres et pulpeuses. Ses yeux, fermés pour l'instant étaient d'un marron profond dans la contemplation duquel on pouvait se perdre facilement.
Il se dégageait de ce visage endormi une telle sérénité, une telle plénitude qu'on sentait un grand calme s'infiltrer en soi.
Il réalisa quelque chose alors qu'il s'attardait à contempler les cheveux ébouriffés par l'oreiller. Lui qui était convaincu que rien n'avait de sens ici-bas, il avait trouvé quelque chose qui avait un sens pour lui. La personne allongée devant lui... leur relation avait un sens. Sans s'en rendre compte, il lui avait donné de l'importance. Et il aimait l'idée qu'ils puissent être important l'un pour l'autre. Qu'il puissent donner un sens aux événements, aux actions de l'autre. C'était une idée qui s'introduisait petit à petit, et qui lui faisait du bien.
lundi 2 septembre 2013
dimanche 25 août 2013
Chemins
L'autre, enfermé derrière la porte vitrée, fixait lui aussi un point sans intérêt et ne tourna la tête à nouveau que lorsque le train s'ébranla pour suivre des yeux cet homme qu'il ne reverrait que dans trop longtemps.
dimanche 16 juin 2013
Mon père
J’ai lu tout ce
qui a été écrit sur mon père, il y a un an et il y a quelques jours, et...
Je voulais
écrire. Ecrire pour répondre à tout ce que je venais de lire. Ecrire pour
mettre de l’ordre dans mes pensées. Mais tout est lié, tout s’embrouille, et je
ne sais que faire ressortir. C’est un amalgame de pensées et de sentiments…
J’ai découvert un
autre père. Un autre père, et le même, un père que je soupçonnais mais que je n’avais
pas besoin de connaître. C’était son monde et pas le mien, et je lui laissait
le soin de me montrer ce qu’il voulait que je voie de lui seulement. Que tant
de personnes connaissent mon père, que tant de personnes sachent des choses
de lui, mais surtout l’aiment, je trouve ça étrange. Mon père, personne ne le
connaissait vraiment.
Mon père, je ne me suis pas rendue compte d’à quel point
je l’aimais. C’était nos silences qui nous rapprochaient. On écoutait les
autres, on écoutait l’autre parler avec les autres, on s’observait, et on se
considérait avec fierté. Fierté de voir ce que l’autre était, devenait. Mais
surtout, on ne se parlait pas de nous. On n’était pas équipés pour.
Mon père c’était
mon arbre. Celui qui serait toujours là. Celui auprès duquel je pourrais
toujours retourner. Celui qui ne me demandait rien. Juste d’être à la hauteur de
moi-même, de suivre un chemin, et de, si possible, être heureuse.
Ca fait un an. Un
an que je ne parle pas. Un an que je sens les émotions passer en moi, me
frapper, me remuer. Un an que je ne me sens pas le droit d’être triste, un an
que je m’oblige à continuer ma vie sans m’arrêter. Mais maintenant, maintenant
que l’idée s’est bien installée dans les pensées, que tout le monde a digéré,
moi je reviens dessus.
Qu’on ne me parle
pas de « faire son deuil », j’aurais trop envie de répondre que c’est
des trucs de gonzesses. Je veux juste connaître mon père. Savoir ce que les
gens pensaient de lui. Je veux juste savoir ce que je n’aurais jamais le temps
de savoir. Connaître ce qu’il ne pourra jamais m’apprendre.
Mon père, c’était
mon dictionnaire interactif. J’avais une question, il connaissait la réponse,
ou faisait en sorte de la connaître. Je voulais apprendre, ou comprendre
quelque chose, il me l’expliquait. Ca a toujours été comme ça. Et ça fait un an
que ça ne l’est plus. Ca fait un an que je me sens seule, un an que je cherche
sa présence partout. Même inconsciemment. Que je cherche des personnes pouvant
juste représenter un petit bout de mon père.
Le problème,
c’est que c’était pas seulement parce qu’il était François Granger qu’il était
comme ça. C’est parce que c’était mon père. Mon papa. Et sans lui, j’ai peur.
Je me suis projetée vers l’avant, j’ai tout fait pour continuer à avancer. Mais
je me retrouve à un stade bâtard. Je ne suis plus une enfant, et je deviens
entièrement responsable de mes actes. Je prends la mesure des choses. Mais
malheureusement on ne me voit pas encore comme ça. Ils ne comprennent pas que
j’ai déjà tracé mon chemin, que j’ai couru là où les autres marchent. Et je
n’ai plus de papa pour lui poser toutes les questions du monde. Je n’ai plus de
papa pour me regarder avec fierté quand je réussis quelque chose. Je n’ai plus
de papa pour m’offrir la chaleur de sa maison. Je n’ai plus de foyer où me
rendre un week-end sur deux, de foyer simple et vivant, empli de silences et de
paroles.
Je suis seule. Je
n’ai pas de papa à qui souhaiter la fête des pères aujourd’hui. Et demain j’ai
la première épreuve de mon baccalauréat. Et je n’ai personne pour me lancer un
regard confiant. Un regard qui veut dire « je sais que tu réussiras ».
Et puis je n’ai personne pour me dire : « C’est pas grave. Tu tentes
une prépa, tu essayes et c’est le plus important. Si tu ne réussis pas, c’est
pas grave. Ta vie ne dépend pas de ça. »
Ma mère me dit
que c’est facile de ne voir que les bons côtés. Que c’est facile de penser
qu’il était parfait une fois qu’il est mort. Que c’est facile d’oublier ses
défauts. Et je suis d’accord. Je connais ses défauts, j’ai même été amenée à
mieux les voir après sa mort. Mais je me contente de simplicité. Toujours. De
silences, de regards, de courtes phrases. C’est lui qui me manque. En entier.
En tant qu’être humain, et en tant que papa.
C’est mon petit
moment d’égoïsme. Un des premiers que je me permets depuis un an. Un petit
moment où je ne pense pas à Luce et à Louise que j’aime très fort, ou à ma mère
qui le connaît depuis ses vingt ans, ou à mon frère, Jean-louis, Toups, Benoît,
et tous ses frères et sœurs en somme, qui ne parlent pas.
Un moment où je
me permets de redire « moi aussi je t’aime papa ».
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